Neuf mois coincés dans l’espace

Le retour sur Terre de deux astronautes met en lumière l’histoire et l’avenir de l'homme dans l'espace.

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Ils devaient passer quelques jours dans l’espace, ils y auront passé neuf mois. Ce mardi 19 mars 2025, les astronautes américains Butch Wilmore et Suni Williams doivent enfin retrouver la Terre après une mission pour le moins inhabituelle. À bord de la Station spatiale internationale (ISS) depuis juin 2024, ils ont vu leur séjour prolongé de plusieurs mois en raison d’un incident technique sur le vaisseau Starliner de Boeing, qui devait initialement les ramener. Ce n’est que grâce à l’arrivée récente de la mission SpaceX Crew-10 qu’un retour a pu être organisé.

Mais cet événement dépasse le simple aléa technique. Il résonne avec l’histoire de la station spatiale elle-même, tout comme il soulève des questions sur le futur des missions habitées en orbite.

De MIR à l’ISS : comment une rivalité spatiale s’est transformée en coopération orbitale

Pour comprendre la naissance de l’ISS, il faut remonter aux dernières décennies du XXᵉ siècle, au cœur de la rivalité technologique entre les États-Unis et l’URSS. Depuis les années 1960, la conquête spatiale est l’un des principaux terrains d’affrontement symbolique entre ces deux superpuissances. Les Soviétiques prennent une avance décisive en lançant le premier homme dans l’espace (Youri Gagarine, 1961) puis développent un programme robuste de stations habitées, dont le fleuron sera la station MIR, mise en orbite en 1986.

MIR devient rapidement un laboratoire orbital majeur, pionnier des séjours de longue durée. Des records sont établis, notamment celui du cosmonaute Valeri Poliakov avec 437 jours consécutifs à bord, record encore inégalé à ce jour. La station devient un espace privilégié pour étudier les effets de la microgravité sur la santé humaine.

Après 15 années de service et plus de 39 000 orbites autour de la Terre, MIR est désorbitée en 2001. Son vieillissement avancé, les coûts d’entretien et la volonté de la Russie de se concentrer sur le programme ISS scellent son destin. La station est volontairement précipitée dans l’atmosphère terrestre, et ses débris finissent leur course dans le Pacifique sud, marquant la fin d’une ère pour l’exploration spatiale soviétique, puis russe.

Cette décision s’inscrit dans un contexte plus large. À la fin des années 1980, la chute du bloc soviétique et la crise économique fragilisent durablement les ambitions spatiales russes. Parallèlement, les États-Unis, qui développent depuis 1984 leur propre projet de station spatiale nommé Freedom, sont confrontés à des coûts exponentiels. C’est dans cette conjoncture que germe une idée inédite : unir les efforts plutôt que de poursuivre des projets concurrents. De cette coopération naît le programme de la Station spatiale internationale (ISS), fruit d’une collaboration entre les États-Unis, la Russie, l’Europe, le Japon et le Canada.

Pourquoi une station spatiale internationale ?

Plusieurs raisons motivent cette coopération :

  • Maintenir une présence humaine permanente dans l’espace, après l’expérience MIR.
  • Mutualiser les coûts et les expertises, face aux limites budgétaires respectives.
  • Transformer l’espace en un symbole de collaboration pacifique, après des décennies marquées par la Guerre froide.
  • Préparer les futures grandes missions habitées, en testant la vie prolongée en orbite, essentielle pour envisager un jour des voyages vers Mars ou des bases lunaires.

En 1998, les premiers modules de l’ISS sont assemblés. À l’origine, la station couvre une superficie habitable d’environ 70 m², principalement répartie sur les premiers modules russes et américains. Au fil des années, avec l’ajout successif de nouveaux modules scientifiques, logistiques et d’habitation, l’ISS atteint sa configuration finale avec une surface habitable d’environ 388 m², soit l’équivalent d’un grand avion de ligne.

Elle devient ainsi le plus vaste laboratoire jamais construit hors de la Terre, mobilisant 16 pays, des milliers d’ingénieurs, et offrant un cadre unique pour la recherche scientifique en microgravité.

Neuf mois d’attente : science, maintenance et résilience

À bord de ce symbole de coopération qu’est l’ISS, Butch Wilmore et Suni Williams ont vu leur mission s’étendre bien au-delà des quelques semaines initialement prévues. En l'absence d’un vaisseau disponible pour leur retour, ils ont dû patienter plusieurs mois avant l’arrivée du Crew Dragon de SpaceX chargé de les rapatrier sur Terre. Cette attente n’a en rien suspendu leurs activités : ils ont poursuivi les missions classiques confiées à tout équipage de la station. Plus de 150 expériences scientifiques ont été menées, portant sur le comportement des matériaux en apesanteur, la biologie cellulaire ou encore les effets du vieillissement en microgravité. Ils ont également assuré la maintenance des systèmes vitaux, supervisé les manœuvres d’arrimage des cargos, effectué des contrôles de sécurité et suivi un entraînement physique rigoureux pour limiter les impacts de l’apesanteur. Ce rôle polyvalent d’astronaute — scientifique, technicien, sujet d’étude et ambassadeur — reflète l’essence même des missions à bord de l’ISS.

Une page se tourne : et après ?

Alors que Wilmore et Williams s’apprêtent à retrouver la gravité terrestre, l’ISS, elle, approche de sa désorbitation programmée pour 2030. Cette échéance a été fixée en raison du vieillissement des structures de la station, certaines parties ayant plus de 25 ans, mais aussi du coût croissant de son entretien. La manœuvre de désorbitation sera progressive, avec un désamarrage des modules puis une plongée contrôlée dans l’atmosphère terrestre, pour que les débris restants tombent dans une zone inhabitée de l’océan Pacifique, surnommée le "point Nemo". Ce point, situé à environ 2 700 kilomètres de toute terre émergée, est considéré comme l’endroit le plus isolé du globe.

En parallèle, plusieurs projets émergent pour prendre le relais : des stations privées, telles que celles envisagées par Axiom Space ou Blue Origin, la station chinoise Tiangong déjà opérationnelle, ou encore des ambitions lunaires croissantes menées par le programme Artemis de la NASA. Ce dernier prévoit non seulement un retour d’astronautes sur la Lune, mais aussi la construction d’une base lunaire permanente d’ici la fin des années 2030. Baptisée "Artemis Base Camp", cette base servira de point d’appui pour des missions prolongées sur la surface lunaire, avec des infrastructures pour l’habitat, la recherche scientifique et la préparation des futures expéditions vers Mars. Ces nouvelles infrastructures pourraient ainsi redéfinir durablement la présence humaine au-delà de l’orbite terrestre.